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Alain Juillet : « Attaquer une banque rapporte moins que pirater ses ordinateurs »

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L’ancien directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE) était de passage en Suisse cette semaine. Il évoque l’intelligence économique [...].

Espion ? Lui préfère dire « agent de renseignement ». Celui qui a été directeur des renseignements de la Direction générale de la sécurité extérieure française (DGSE) et par ailleurs spécialiste de problématiques énergétiques était de passage à Genève cette semaine. Objectif : inaugurer la section genevoise de l’Académie de l’intelligence économique française dont il est le président. Il a rencontré Le Temps dans la bibliothèque feutrée d’un palace genevois. A l’heure où l’on parle de plus en plus d’intelligence économique, rencontre avec l’un des experts mondiaux du domaine.

Le Temps : Une grosse affaire secoue la Suisse ces jours. Pour savoir d’où provenaient certaines fuites dans les médias, un encaveur valaisan est soupçonné d’avoir commandité le piratage d’ordinateurs de journalistes avec l’aide d’un détective privé et d’un hacker. Est-ce que c’est ça, l’intelligence économique ?

Alain Juillet : Je ne connais pas le cas dont vous parlez, mais il s’agit manifestement de gens qui sont sortis des limites de la loi pour se tirer des sombres affaires dans lesquelles ils étaient empêtrés.

– De la simple criminalité, alors ?

– Oui. Et ceux qui franchissent les lignes rouges, ce sont les plus mauvais du métier. Je dis volontiers qu’aujourd’hui, il faut vraiment être bête pour attaquer une banque à la Kalachnikov pour un butin de 50.000 euros. En piratant les ordinateurs d’une société et en vendant les informations à un concurrent, vous pouvez gagner bien davantage. Et si vous vous faites pincer, vous risquez beaucoup moins.

– Qu’est-ce que l’intelligence économique, alors ?

– L’intelligence économique part d’un constat : si je me rends compte que mon activité est au même niveau que celle de tous mes concurrents (mêmes technologies, mêmes expériences, etc.), je dois me demander : « Comment faire mieux que les autres pour devenir le leader de ce domaine ? » L’expérience a montré que le seul moyen d’y arriver, c’était par l’information. Un supplément d’informations – donc de connaissances – pourra donner un fort avantage compétitif.

– Concrètement ?

– Un exemple : une multinationale qui fait faire une étude sur tous les pays d’Europe pour voir où la fiscalité sera la plus intéressante pour elle a recours à une forme d’intelligence économique. L’optimisation fiscale permet des gains substantiels ; et donc, un avantage sur les concurrents.

– On lit dans un portrait de vous : « Côté pile, Alain Juillet est industriel de l’agroalimentaire, côté face, espion des services secrets français. » Ça vous correspond ?

– C’est une définition qui me convient. Même si je préfère « agent de renseignement » à « espion ». Quand j’ai été nommé à la DGSE, Internet n’existait pas encore et plusieurs journalistes ont écrit toutes sortes de choses sur moi. Disons que j’ai travaillé pour plusieurs groupes internationaux (Ricard, Marks & Spencer, Jacob Suchard, etc.) mais que je suis aussi passé dans les forces spéciales avant de prendre la tête de la direction du renseignement de la DGSE. Aujourd’hui, comme président de l’Académie de l’intelligence économique, je parle volontiers d’énergies et de géopolitique.

– Rien de secret, en fait. On trouve tout cela sur votre page Wikipédia

– En effet, j’ai été étonné de voir à quel point elle était bien renseignée. Même mes enfants y ont appris des choses !

– On dit de vous que vous incarnez la « transition » de l’intelligence économique. Pourriez-vous développer ?

– J’ai d’abord étudié l’intelligence économique comme la faisaient les Américains et les Anglais : presque exclusivement basée sur les affaires (« business intelligence »). Mais, avec d’autres, j’ai amené une idée un brin différente : on ne peut pas isoler le monde des affaires du reste de l’environnement. Chaque pays possède une culture propre. Il faut impérativement prendre cette culture en compte quand l’on veut faire de l’intelligence économique.

– Est-ce que Genève possède une place de choix dans ce domaine ?

– Pour de multiples raisons que vous connaissez, la Suisse est un lieu de rencontres. A partir du moment où il y a des échanges, il y a de l’intelligence économique. Cela dit, si l’on compare à ce que font les Américains ou les Chinois – très forts dans ce domaine – la Suisse se défend. L’OSEC [ndlr : organe de promotion des exportations suisses] est un excellent service d’intelligence économique pour aider les entreprises suisses à exporter et il y a quelques cabinets de conseil très performants.

– Est-ce que toutes les entreprises doivent aujourd’hui avoir recours à l’intelligence économique ? Y compris les PME ?

– Bien sûr ! Beaucoup d’entreprises s’imaginent trop petites pour cela. Mais c’est faux : toutes les entreprises, petites ou grandes, devraient s’y mettre. C’est très important de connaître son canton, de savoir précisément où en sont ses concurrents.

– Combien cela coûte-t-il ?

– Cela dépend de l’activité. Quand Christine Lagarde a quitté son cabinet d’avocats américain – Baker & McKenzie – elle disait que 3% du chiffre d’affaires du cabinet [2,4 milliards de dollars en 2013] y était dédié.

– Quel impact a eu la révolution numérique sur ce domaine ? Aujourd’hui, presque tout est en ligne…

– C’est correct. Avec la montée en puissance du numérique, pratiquement toutes les informations du monde sont accessibles. Même Facebook ou LinkedIn facilitent déjà la vie. Avec le « big data », il y a des quantités infinies d’informations disponibles. Cela ne veut pas dire que les informations sont faciles à trouver, mais elles sont disponibles. Et attention, le hacking reste illégal.

– En France, vous avez été l’artisan d’un programme d’intelligence économique rattaché directement au premier ministre. Pourquoi ce programme a-t-il été mis en place ?

– C’était en 2003, sous [Jean-Pierre] Raffarin. En un week-end, la société française Pechiney s’est fait racheter par des Canadiens et, à terme, 60.000 emplois ont disparu. L’Etat n’a rien pu faire. Il y a eu un déclic ce jour-là.

– Ça rappelle ce qui est en train de se passer avec Alstom…

– Exactement. Sans intelligence économique, on se serait réveillé un matin et d’Alstom, la France n’aurait eu plus que les trains et tous les emplois auraient disparu.

– Autre actualité française, la ministre Ségolène Royal a annoncé cette semaine une ambition de faire baisser de 25% la consommation d’énergie nucléaire d’ici à 2050. Est-ce la bonne voie ?

– Il y a un problème de fond, en France comme en Allemagne. Tout le monde essaie de trouver des solutions de remplacement au nucléaire. En investissant trop massivement dans les énergies renouvelables aujourd’hui, on pollue énormément. L’Allemagne a augmenté de 5% ses émissions de CO2 en essayant de réduire sa dépendance au nucléaire. Le constat est clair : une transition brutale peut se révéler extrêmement polluante !

– Il est tout de même essentiel de miser sur les énergies renouvelables…

– Certes, mais il faut que ça se fasse de manière très progressive. Et par le biais du gaz (essentiellement non conventionnel : gaz de schiste, gaz de méthane, « tight gaz », etc.). Les Allemands l’ont bien compris, Angela Merkel a annoncé récemment qu’elle acceptait de rechercher du gaz sur tout le territoire allemand.

– N’exagère-t-on pas le potentiel du gaz de schiste ?

– Probablement un peu. Comme à chaque fois que l’on découvre quelque chose de nouveau, les gens s’emballent peut-être un peu. Mais il n’y a pas d’autres conclusions : le gaz est la seule solution possible pour réaliser la transition énergétique vers les énergies renouvelables.

– Que faites-vous des risques liée à la fracturation hydraulique (fracking : seule manière d’extraire le gaz notamment de schiste, décriée par les écologistes) ?

– Explorons déjà ! Afin que nous soyons prêts le jour où le fracking sera parfaitement au point. Le pays qui paye son énergie moins cher jouit d’une expansion économique bien plus élevée. Etre prêts nous évitera de prendre un retard énorme vis-à-vis des Américains. On est de retour en plein dans des problématiques d’intelligence économique.

Le Temps


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